Quelques éléments de réponse, avant de décider de son (in)utilité.
Les quantités d’eau douce qui arrivent à la mer influent sur de nombreux paramètres. En voici quelques-uns, qui sont pris en compte pour évaluer l’état des masses d’eau côtières et/ou de transition du SDAGE Artois-Picardie et/ou du document stratégique de façade (DSF) Manche-Est Mer-du-Nord. Toutes les masses d’eau littorales du bassin Artois-Picardie sont actuellement en mauvais état écologique.
Apport de nutriments
Les apports d’eau douce, 100 fois plus riches en nutriments (essentiellement azote, phosphore et silice) que l’eau de mer, stimulent la production biologique des zones côtières. Sans ces apports, la production primaire océanique, le phyto et zoo plancton, serait 20 % inférieure. De cette production dépendent la croissance des huîtres et des moules élevées sur les côtes, et aussi la croissance des jeunes poissons qui se concentrent près des côtes et dans les estuaires, où la nourriture est plus abondante. Il a été montré que deux tiers des espèces marines et trois quarts des captures de la pêche maritime sont ainsi tributaires des apports d’eau douce. [1]
Phénomène d’eutrophisation
Les estuaires reçoivent des apports de nutriments qui influent directement sur leur état écologique, et peuvent entraîner un phénomène d’eutrophisation quand ils sont trop importants. En effet, un apport massif de nutriments pourra entraîner une forte augmentation de la biomasse algale des eaux côtières, qui, en se décomposant entraînera une désoxygénation des eaux. De plus, parmi cette biomasse se développent des algues phytoplanctoniques, dont certaines émettent des toxines qui peuvent être dangereuses pour la faune marine (poissons, coquillages…) et pour les consommateurs.
Par ailleurs, la diminution des débits d’eau douce entraîne une diminution de la hauteur d’eau, et une augmentation de la température de l’eau qui est un facteur accélérant l’eutrophisation des milieux aquatiques. [2]
Toutes les masses d’eau côtières du bassin Artois-Picardie sont déclassées par le facteur eutrophisation et la présence de blooms de l’algue Phaeocystis globosa.
Variations de salinité
Les estuaires, en tant que zones de transition entre le milieu continental et océanique, sont les zones de mélange des eaux douces s’écoulant des fleuves et des eaux marines venant du large. Le gradient de salinité de ces zones varie en fonction des marées et des débits d’eau douce arrivant aux estuaires.
La variation de salinité joue un rôle majeur dans la répartition des espèces végétales et animales, qui selon leur tolérance à une salinité donnée (optimum, toléré, non toléré), leur mode de vie (benthique, pélagique) et de déplacement (vagile, sessile), pourront ou non être présentes. Ainsi, une modification de la salinité (gamme et/ou durée) peut engendrer une modification importante de la faune et la flore d’un secteur par la disparition ou l’apparition d’espèces. Dans l’estuaire de la Seine, la remontée de la salinité entraîne le déplacement des zones de nourricerie vers l’amont pour les espèces migrantes (sole, bar, hareng, etc.). [3]
Variations du bouchon vaseux
La formation de bouchons vaseux est un phénomène naturel des estuaires soumis à des marées de grandes amplitudes. Ils sont composés de sédiments fins en suspension, mêlés de matière organique, qui s’accumulent dans la zone de rencontre des eaux douces des fleuves, et salées de l’océan. Les bouchons vaseux connaissent des oscillations saisonnières importantes, liées au débit des fleuves. Ils permettent l’existence et le maintien de vasières immergées ou exondées au rythme des marées, qui sont des habitats favorables au benthos, source de nourriture pour de nombreuses espèces de poissons et d’oiseaux. Dans un fonctionnement normal, une partie de ces bouchons vaseux est expulsée en mer lors des crues, sinon ils peuvent stagner, se concentrer et s’étaler, ce qui perturbe les milieux et les espèces. [4]
Apports de polluants chimiques et microbiologiques
Les estuaires sont les réceptacles des eaux drainées par les fleuves et leurs affluents. La qualité de leurs eaux est le reflet des pressions anthropiques qui s’exercent sur les bassins versants. Si les débits baissent aux estuaires, les polluants chimiques et microbiologiques se concentrent. Cela entraîne donc une augmentation des effets toxiques sur les organismes marins, provoquant des maladies, des déficiences physiologiques et affectant la reproduction. Les sédiments de sept des neuf masses d’eau littorales du bassin Artois-Picardie sont en mauvais état chimique.
Apports de déchets
Plus de 10 millions de tonnes de macrodéchets sont rejetés chaque année dans l’environnement marin, dont l’essentiel, 80 %, provient de la terre. Les quantités, la nature et la taille des déchets transitant par les cours d’eau varient en fonction des débits, et de la dynamique sédimentaire du milieu dont la présence ou non d’un bouchon vaseux. Les déchets peuvent se concentrer, particulièrement en période de crue, dans des zones d’accumulation préférentielles et constituer d’importants stocks. Ils affectent tous les compartiments du milieu marin, ils sont retrouvés sur le littoral (15 %), à la surface et dans la colonne d’eau (15 %) et sur les fonds (70 %). Les déchets marins affectent de nombreuses espèces qui sont susceptibles de s’enchevêtrer ou de les ingérer, entraînant des effets néfastes sur leur santé. Par ailleurs, les déchets peuvent endommager et dégrader les habitats benthiques. Ils sont aussi de potentiels vecteurs de contaminants et de pathogènes et peuvent transporter des espèces non indigènes. [5]
Que disent les lois et les documents de planification ?
Extrait du préambule de la Directive-Cadre sur l’eau [6] : « (17) Une politique de l’eau efficace et cohérente doit tenir compte de la vulnérabilité des écosystèmes aquatiques situés à proximité de la côte et des estuaires ou dans les golfes ou les mers relativement fermées, étant donné que leur équilibre est fortement influencé par la qualité des eaux intérieures qui s’y jettent. La protection de l’état de l’eau à l’intérieur des bassins hydrographiques apportera des bénéfices économiques en contribuant à la protection des populations piscicoles, y compris les ressources halieutiques côtières. »
Le Document stratégique de façade Manche-Est-Mer-du-Nord [7] comprend une action qui prévoit de définir les besoins d’apports en eau douce aux estuaires. Cette action est aussi attendue dans le cadre de la mise en œuvre de l’orientation D-7 du Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux Artois-Picardie [8].
La détermination des besoins d’apports en eau douce pour les milieux marins est également indispensable dans le cadre de l’élaboration des projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) qui doit organiser la planification des usages de l’eau et le partage de la ressource disponible. En effet, les périodes de sécheresse récurrentes et les prévisions du GIEC questionnent certains acteurs sur la possibilité de capter ces eaux qui vont à la mer, jugées perdues et inutiles par eux.
Bibliographie
[1] Ifremer, UMR DECOD, Mieux anticiper les effets des activités humaines sur la biodiversité aquatique, de la source à l’océan, 2022
[2] GIP-Seine-Aval, Qualité de l’eau et contaminations : Apports en nutriments et potentiel d’eutrophisation, 2008
[3] GIP-Seine-Aval, Contextes climatique, morphologique & hydro-sédimentaire : la salinité dans l’estuaire de la Seine, 2013
[4] GIP-Loire-Estuaire, La dynamique du bouchon vaseux, 2014
Portail notre-environnement, Les déchets solides en mer et sur le littoral, 2019
[5] GIP-Seine-Aval, La pollution plastique en estuaire de Seine : imprégnation environnementale dynamique et impact sur le vivant, 2021
[6] Lien vers le site du Ministère de la Transition écologique
[7] Lien vers le site de la direction inter-régionale de la mer Manche-Est Mer-du-Nord
[8] Lien vers la page du SDAGE